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  • : Des lire et délires de James NAR
  • : Je vous invite à prendre comptant, voire content, les clichés et les délires de mes jets d'encre qui m'arriment à ce blog.
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  Mareuil

Il était une fois un petit village comme il en existe des milliers, un petit village avec son église romane et la rivière au pied, qui séparait ce village en deux parties, le bourg et le bas-bourg. Un petit village avec ses rues aux murs de pierres et aux maisons dépareillées.Un petit village avec une place bordée de tilleuls qui semblaient s'écarter pour laisser l'accès en son coin, à un endroit que personne ne pouvait entraver, celui du monument du souvenir.

Comme dans des milliers de petits villages pareils à celui-ci, cet endroit bien entretenu était là, fondu dans le paysage quotidien, et il fallait quelques cérémonies annuelles pour s'apercevoir qu'il se tenait bien droit et fier d'être là, pour illustrer la mémoire des enfants de la commune.

 

C'était il y a longtemps, à une époque où la fête nationale était encore l'occasion outre de célébrer les anciens héros locaux, de partager au sein de la petite communauté locale quelques moments festifs qui permettaient à tous d'oublier un instant le labeur quotidien et ses servitudes. Je n'étais encore qu'un enfant mais je savourais pleinement cette fête du 14 juillet, autant les agréables aventures que mes aînés me contaient des célébrations antérieures, que les moments d'amusement qu'elle annonçait à l'image des noms de jeux évoqués tels que ''mât de cocagne'', ''course à l'œuf'' ou ''la pièce dans la bassine de farine''.

Car à chaque fois, le patrimoine culturel de ces jeux traditionnellement organisés en ce 14 juillet resurgissait des voix des uns, qui avaient été acteurs, et des autres, spectateurs attentionnés et enthousiastes. A l'instar de ceux-ci, je n'avais pourtant guère connu certains de ces jeux comme celui du mât de cocagne. Je me rappelais à peine de son installation à l'entrée de place, face à notre fenêtre quelques jours auparavant par les cantonniers, et de mon impatience à le voir assailli le jour J. Un grand poteau de bois était érigé et trônait à sa cime un cercle de fer qu'une corde passant par une poulie permettait de faire descendre ou remonter. Ainsi l'on pouvait suspendre à ce cercle aérien des cadeaux que du bas, tout le monde convoitait secrètement. En questionnant à droite et à gauche j'avais eu conte de certains épisodes de ces aventuriers qui pleins d'énergie, se lançaient à la force des bras à l'assaut de ce mât pour cueillir le précieux butin et qui arrivés en haut, ne pouvaient plus que saisir le paquet le plus accessible, et arrivés en bas étaient déçus mais néanmoins fiers d'un paquet qui souvent était plus une farce qu'un cadeau.

 

cocagne

 

Mais ce que l'on me contait plus aisément, mes frères l'avaient vécu et en étaient des témoins privilégiés, la course à l'œuf... Il s'agissait d'effectuer dans le bourg, un circuit établi en marchant, tenant dans la bouche une cuillère à soupe dans laquelle un œuf frais était déposé. Ainsi une course d'adresse était lancée dans les rues de la cité au regard des badauds sur leur seuil de maisons. L'appât du gain et de la gloire attirait les comportements les plus variés dans cette course par élimination où l'éclatement de l'œuf sur la chaussée constituait un jugement rédhibitoire. Ainsi il y avait les précautionneux aux pas de velours, les hésitants avec leurs mains tétanisées s'apprêtant à rattraper l'œuf avant l'accident fatal, les empressés dont la fougue n'avait d'égale que la vitesse de l'œuf à se fracasser au sol, et il y avait comme toujours le petit malin qui avançait et bravait les pièges du sol sans souci, au point de rendre l'assistance soupçonneuse d'un chewing-gum placé précisément entre l'œuf et la cuillère... Inéluctablement le premier à franchir la ligne d'arrivée était ovationné d'un tonnerre d'applau dissements et des regards d'admiration.

 

Jose3.jpg

L'expérience que j'avais de ces jeux du traditionnel 14 juillet se limitait à la course en sac et difficile avait été cette expérience puisqu'elle consistait en une course, engoncé dans un grand sac de blé en jute, obligeant à se déplacer en bonds à pieds joints, les bras servant pour un petit comme moi parmi des plus vieux et des plus grands, à ne pas se prendre les pieds dans la jute et chuter.

 

 

C'était quelque deux ans plus tard et j'avais maintenant 9 ou 10 ans, nous étions le 14 de ce mois de juillet et mon père m'avait promis que cette année encore il y aurait des jeux organisés pour les enfants. J'avais retenu avec attention cette information car ma source me paraissait infaillible puisque papa savait de quoi il parlait, il était conseiller municipal... Mais nous sentions bien dans l'entourage que la ferveur pour cette manifestation n'était plus celle légendaire dont je vous parlais. IL y avait bien encore la veille au soir le bal populaire qui avait lieu sous les halles en contre bas de la place de la mairie ,mais même le défilé aux lampions qui conduisaient les citoyens festifs de la caserne des pompiers située dans le bas-bourg aux halles du marché à l'autre bout du village, s'effilochait un peu plus chaque année. Le cortège était conduit au son d'une petite fanfare à laquelle les petits et les grands emboîtaient le pas munis d'une lanterne en accordéon de papier, illuminée par une bougie intérieure et que l'on balançait au rythme de la musique au risque de la voir s'enflammer. J'aimais bien ce regroupement pour cette aventure dans la nuit et ces jeux interdits de lumières multicolores, et je regardais déjà les copains avec qui je me faufilerais parmi les danseurs durant le bal. J'étais loin de penser que ce serait finalement une fille qui viendrait me solliciter pour jouer durant cette soirée et plus encore qui me ferait danser. Mais la fille du boucher dont je connaissais surtout le frère Alain puisqu'il était dans ma classe alors qu'elle était à l'école des filles, Monique donc, allait imposer sa loi du bonheur...

 

bal

Encore tout ébahi par cette soirée aussi étonnante que joyeuse, je me réveillai le lendemain dans l'humeur la meilleure à l'idée de la journée qui m'attendait. Le matin, spectacle du rassemblement devant le monument aux morts suivi du vin d'honneur où j'avais l'habitude de m'infiltrer pour aller chiper d'une table à l'autre, quelques gâteaux parmi ceux que j'avais déjà sélectionnés du regard. Peut-être papa pourrait-il cette fois encore m'obtenir un pschitt, (un pschitt citron s'il te plait papa) ...

Et l'après-midi il y aurait les jeux que j'attendais avec tant d'impatience que je rappelai mon inquiétude à mon père en demandant :

« C'est à quelle heure les jeux, papa ? »

A cette question qui semblait l'embarrasser, mon père rétorqua : « on verra tout à l'heure ! »

 

De retour à la maison, à une heure bien tardive pour le déjeuner, je renouvelai ma question et j'eus la surprise lorsque j'appris que c'était finalement papa qui allait organiser les jeux pour les enfants avec le père Lhermite, le garde champêtre du village.

tambour

Le père Lhermite était un homme qui avait autant de tâches dans le village qu'il avait de tenues de travail différentes, la plus cocasse étant sans conteste cette veste bleu marine avec son cordon brun et la casquette assortie que le père Lhermite affublait lorsqu'il jouait du tambour en passant dans les rues pour annoncer les informations municipales, palabres toujours terminées dans un sourire malicieux d'un « qu'on se le dise ! ».

J'étais très étonné de cette nouvelle inattendue mais fier aussi que mon père ait pu être choisi pour cette mission. Mais les seules informations dont j'avais le privilège étaient qu'il y aurait des pièces à gagner et qu'il me fallait attendre le rendez-vous sur la place à 17 heures...

 

Enfin, après de nombreux coups d'œil à la fenêtre pour vérifier si mes éventuels partenaires de jeu étaient déjà arrivés sur la place, 17 heures sonna et je vis poindre sur la place la silhouette si caractéristique du père Lhermite, endimanché de sa chemise à carreaux et préservé des rayons du soleil qui commençaient à baisser d'intensité, par sa sempiternelle casquette légèrement désaxée comme à son habitude. J'en avertis immédiatement mon père et nous descendîmes le rejoindre, entouré maintenant qu'il était, d'une petite douzaine de gamins du village.

 

A ma grande surprise, aucun des deux adultes n'était pourvu de matériel. Ni sacs de jute, ni œufs frais ou cuillères à soupe, pas même une corde à tirer, seule une enveloppe kraft laissait sonner lorsque mon père la manipulait, quelques espèces de monnaie qui représentaient autant de récompenses. Visiblement, les joutes de cette année relevaient d'une organisation de dernière minute, ce que confirma la proposition de mon père :

« Cette année les enfants, nous allons au terrain de sport, … nous allons faire des courses ! »

Je fus bien entendu surpris par cette annonce, à l'idée de ne pas goûter à nouveau à ces moments rigolos que seul ce jour du 14 juillet nous offrait dans l'année, tant les jours ordinaires il ne pouvait être question d'utiliser des œufs frais pour jouer, ou bien de vider quelques sacs de son ou de blé pour en faire des carapaces bondissantes. Mais l'idée de faire des courses au stade ne me déplaisait pas car j'aimais courir et je voyais là peut-être, une occasion de glaner quelques pièces de monnaie, même si deux ou trois compagnons d'aventure me semblaient plus âgés que moi.

Nous arrivâmes au terrain de sport et il fut décidé qu'il y auraient plusieurs courses, des courtes et des plus longues et que l'on pouvait participer à celles que l'on choisirait. Le premier gagnerait 2 francs, le second 1 franc, et le troisième 100 sous, c'est à dire une pièce de 50 centimes.

Bien entendu, tous les concurrents s'alignèrent pour la première course qui correspondait à la largeur du terrain de foot, et je me concentrai au maximum, espérant arriver dans le trio de tête, synonyme d'effort récompensé.

Au signal, je me mis en action en un éclair et je m'aperçus rapidement que j'étais dans les prétendants au podium. Aussi j'accentuai mon effort en tirant sur mes bras et en fixant les deux juges qui se trouvaient sur la ligne d'arrivée, et dont les silhouettes devenaient de plus en plus distinctes. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque les juges m'annoncèrent de concert, vainqueur de l'épreuve. Avec une fierté partagée, mon père me remit la prime du vainqueur.

Après un temps de repos, on nous proposa une seconde course, mais sur la longueur du terrain ! Là, pas de piste bitumée mais un semblant de chemin qui avait été tassé par les audacieux qui avaient l'habitude de passer là pour rejoindre la rivière à l'endroit bétonné de quelques marches à fleur d'eau, qu'on appelait communément la piscine … Autant dire que pour cette course il fallait surveiller non seulement les adversaires, mais aussi avoir l'œil à anticiper les pièges que le sol bosselé réservait. Là aussi je gagnai la course et fus ravi de cumuler les gains. Aussi lorsque l'on proposa une course d'un tour entier du terrain, je m'avançai en regardant mon père, et je compris que la déviance de son regard avait valeur d'autorisation à briguer un nouveau succès. Ce fut chose faite et je commençais à cumuler une somme que j'aurais mis des mois à obtenir par les quelques sous que me donnait maman certains dimanches, ou les quelques pièces jaunes que parfois la tante Marcelline me donnait lorsqu'elle m'envoyait à la pharmacie acheter sa Quintonnine, bien qu'en général elle me donnait la somme exacte du médicament.

 

 

J'enchainai avec le même succès la course de deux tours et celle de trois tours, et je voulus effectuer également la dernière qui comptait quatre tours de terrain. Mon père marquait son désappointement à me voir enchaîner les efforts, mais avec mon insistance et voyant que je récupérais facilement, il céda à ma dernière requête. Je m'alignai donc pour l'ultime et la plus longue des courses. Seuls 6 ou 7 candidats s'étaient présentés, les autres abdiquant car l'effort leur semblait trop conséquent et les chances d'être récompensé trop aléatoires.

Pour cette course, le rythme était différent car tous avaient conscience qu'il allait falloir être endurant. Au fil des tours le rythme augmentait et les foulées s'allongèrent. Je conduisais l'allure et je sentais bien que des poursuivants commençaient à fléchir, mais je ressentis aussi la présence rapprochée de l'un d'eux qui s'était calé dans ma foulée. Aussi à quelques dizaines de mètres de l'arrivée, je tentai de le décrocher en essayant de puiser dans mes réserves pour agrandir encore mes enjambées. Mais cela n'eut pas l'effet attendu et allant chercher un souffle qui ne me suffisait plus, je ne pouvais distancer cet adversaire malicieux qui avait eu lui, la lucidité malgré son âge inférieur au mien, de ne pas participer à toutes les courses. Je vis alors ce Jean Pierre que plus tard j'apprendrais à mieux connaître, me dépasser quelques mètres avant la ligne.

 

 

J'accusai la déception et je terminai ces jeux éreinté, à la fois fier et fourbu de tant d'efforts et de cette notoriété naissance, que je pouvais concrétiser des pièces accumulées qui allaient faire confortablement gonfler ma tirelire. Je m'empressai d'ailleurs au retour à la maison, de montrer mon butin à maman qui tout de suite s'interrogea :

« Mais combien as-tu fait de courses ? »

Je répondis sans hésitation et ma mère se tourna vers papa pour lui rétorquer « C'est trop ! Vous êtes fous … »

Mais mon père qui était tout fier de son champion argumenta que c'est moi qui voulait courir, que je courais comme un lapin et que ça ne semblait pas me fatiguer plus que cela.

La journée se termina et j'emportai avec moi dans mes pensées nocturnes, de multiples arrêts sur images de cette compétition amicale.

 

Le lendemain matin, je sentis très vite que la journée ne serait pas de la même teneur et qu'elle serait bien plus pénible. En effet, lorsque je voulus tout guilleret sauter du lit, je ressentis alors une vive douleur au genou qui me fit hurler instantanément. Je ne pouvais poser le pied par terre, et c'est en sautant sur un pied, une larme perlant sur la joue que je regagnais la cuisine où le reste de la famille s'affairait sous les senteurs de café et de chocolat chaud.

Immédiatement, de son instinct maternel, ma mère comprit qu'il se passait quelque chose. A la vue de ma démarche clopin clopante elle saisit l'ampleur du problème et me fit asseoir pour étendre ma jambe et remonter mon pantalon de pyjama. La situation s'éclaircit immédiatement, mon genou avait doublé de volume et le moindre toucher me faisait hurler. Elle jeta à mon père un regard qui se passait de commentaires. Moi-même, je saisis alors le prix des pièces que j'avais récoltées la veille...

Dans la matinée, on fit venir le docteur Frappier qui diagnostiqua une entorse du genou avec un épanchement de synovie qui allait m'immobiliser une bonne partie de la semaine, et m'obliger à des activités plus raisonnables. Je passai donc les journées suivantes dans une position horizontale à laquelle je n'étais pas habitué, et je dus me résoudre à apprécier les moments où l'on venait prendre de mes nouvelles car ma mère tout comme elle aurait pu m'appuyer sur le genou pour voir si j'avais encore mal, trouvait un malin plaisir à me rappeler le dicton que sa propre mère lui avait inculqué :

« Tu vois mon p'tit, comme aurait dit la mère Fernande, faut pas péter plus haut qu'on a le derrière ! T'as voulu faire to'tché courses, ben te les as faites ! T'é ben plus fin astur...

Jean De la fontaine n'aurait pas fait mieux ! ... 

 

Lampions

James Nar

 

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