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  • : Des lire et délires de James NAR
  • : Je vous invite à prendre comptant, voire content, les clichés et les délires de mes jets d'encre qui m'arriment à ce blog.
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MareuilIl était jadis un petit village comme il en existe des milliers, un petit village avec son église romane au clocher d’ardoises, la rivière au pied. Dans le ciel éclairé, se mêlaient au bruit du vent dans les peupliers, les froissements d’ailes de ces moines volants. Car c’était bien là qu’ils avaient élu domicile, sortant des entrailles de l’édifice et de l’horloge tels des coucous programmés. A l’intérieur de ce clocher à tout voyage exposé, semblable à ces halles anciennes où l’on ne sait si ce sont les blocs de granit qui soutiennent les énormes poutres de chêne ou bien l’inverse, c’était la criée. Chacun exposant son meilleur plumage dans un concert de roucoulements intempestifs, les mâles cherchaient la compagne qui consentirait à partager pour l’éden, une parcelle d’échoppe toute de fientes recouverte.

 

Et de ce petit village, trois jeunes gens comme il en existe des milliers, trois jeunes futurs aînés, en quête d’aventure. A l’image de leur père, fiers ils étaient de rapporter à la maison, le gibier prisonnier de ce clocher d’Ali Baba. Armés de frondes ingénieusement confectionnées, ils défiaient les hauteurs intérieures de cette tour habitée de mille et cents pigeons, et du geste cent fois répété du caillou projeté par l’élastique, ils remplissaient leur besace.

 

C’était un matin de juillet, lors d’une nouvelle équipée que l’un d’eux eut l’audace de viser un de ces volatiles qui restait figé pour ne point exposer la progéniture amoureusement dissimulée sous son jabot. En un éclair le projectile atteignit la cible. Le corps fouetté tomba lourdement sur le plancher, une dizaine de mètres en contrebas, emportant avec lui dans sa chute fatale, un petit être, de duvet à peine recouvert. Plus que cette chute dramatique elle-même, ce furent les piaillements qui se dégageaient de cet antre maintenant devenu désert et silencieux après un ouragan de panique, qui interloquèrent un de nos aventuriers braveurs d’interdits. Le teint basané, il arborait une épaisse chevelure frisée et de son visage en partie dissimulé se dégageait déjà l’air futé de ses congénères traqueurs.

Soudain atterré par des appels que jusque là il n’avait entendus, il découvrit une seconde créature qui émergeait du nid avec angoisse. De son pantalon de jean, notre frondeur sortit alors un mouchoir qu’il étala soigneusement sur une poutre, y déposa délicatement le pigeonneau tremblant puis referma le morceau de tissu en nouant deux à deux les quatre coins. Enfin il glissa l’oiseau ainsi emmailloté à l’intérieur de son blouson, contre sa poitrine chaude, et d’une agilité prudente et maîtrisée, descendit la tour intérieure du clocher pour s’en aller avec le précieux butin.

 

Arrivé à son repère, Gaspard, le sauveur ainsi nommé traversa d’un trait l’entrée de la maison, déboucha dans la cour puis sous le hangar, d’où il sortit d’un tas de bois, une vieille cage qui n’était plus qu’un cube de bois vert de gris dont une face était recouverte d’un grillage déformé avec sur le côté une petite porte aux charnières de cuir. Après l’avoir libéré de ses toiles d’araignées, il y enfouit une poignée de paille à sa portée, déposa ce nid de fortune dans un coin du hangar qu’il avait jugé à l’abri et alors avec la dextérité d’un joaillier, il déballa son paquet.

 

Telle une perle dans une huître, l’oisillon se découvrit, d’abord la tête enfouie dans son frêle corps que le duvet encore léger laissait transparaître. Puis, par la prédominance de son bec et de ses yeux, il révéla un âge de deux à trois semaines. De ses deux mains, Gaspard prit la bête qui au fond de cette nasse humaine se trouvait bien, et il l’invita à trouver place parmi la paille qu’il regroupait autour d’elle. Le pigeonneau d’abord effarouché par cet aménagement se blottit alors, rassuré par la chaleur que l’enfant lui prodiguait en haletant vers lui. Gaspard enfin, déposa près de lui une soucoupe de blé et une écuelle d’eau et le reste de la journée fut un incessant va-et-vient de la cour à la maison pour assister ce nouveau compagnon auquel il adressait des roucoulements hésitants comme pour assurer qu’il n’était pas dans un monde tout à fait étranger.

 

Le lendemain, avant même de satisfaire son appétit du matin, la première préoccupation de Gaspard fut la visite de son protégé. Très vite, en voyant l’animal pétrifié et tremblant, il se sentit envahi d’un sentiment troublant. Lui qui maintes fois avait tenu dans ses mains le corps encore chaud d’un pigeon touché par la pierre, lui tout à coup se tenait là devant la cage, fébrile et coupable face à cet oiseau orphelin. Le pigeonneau était visiblement affaibli. Pas une trace de vie dans la cage, l’écuelle de grains était intacte, celle d’eau aussi. Assurément l’oiseau ne s’était restauré depuis sa capture. Et c’était là pourtant sa seule chance de survie ! ... C’est alors que Gaspard se rappela une scène qu’il avait plusieurs fois observée dans le clocher lorsqu’il parvenait à s’y introduire seul, sans alerter ses occupants. Il aimait à regarder le fantastique spectacle de la becquée, ces jeunes affamés glissant maladroitement leur bec dans celui des parents pour dérober le trésor nourricier.

 

L’adolescent porta alors à sa bouche une pincée de graines qu’il humecta quelques secondes puis il saisit l’oiseau d’une main, guidant de l’autre le bec du pigeonneau vers sa bouche pleine. Réticent dans cette gymnastique forcée, l’oiseau se débattait pour retrouver la liberté de son cou et Gaspard dut s’employer à plusieurs reprises pour réussir à introduire le bec de l’animal. Après une période d’essais infructueux, l’oiseau goba enfin quelques grains qu’il apprécia puisqu’il renouvela son geste salvateur. Gaspard proposa alors sa bouche remplie d’eau, l’oiseau semblait satisfait. Et c’est empli d’un sentiment partagé entre sens du devoir accompli et amour dominateur que le jeune homme replaça l’oiseau dans sa cage, en lui rappelant le son de ses frères voyageurs.

 

Bientôt, trois fois par jour, Gaspard satisfaisait avec plaisir la faim de son compagnon. Visiblement c’était un moment agréable pour les deux êtres devenus complices et le pigeonneau reprit rapidement des forces, développant même muscles et plumage. Au bout d’une semaine, l’oiseau répondit à ses roucoulements et l’on eut dit qu’il s’installait entre eux un dialogue privilégié. Après trois semaines, le pigeon occupait de moins en moins les deux mains de Gaspard tant il avait profité, mais aussi parce que son impatience à becqueter avec son maître le faisait sortir de lui-même de la cage. Si bien qu’un matin, l’oiseau vint spontanément se poser sur l’épaule de Gaspard distant de quelques deux mètres de la cage.

 

Le jeune homme posa alors le pigeon sur la cage et se recula jusque dans la cour. En quelques battements d’ailes désordonnés, l’oiseau vint le rejoindre ...

Dans la journée, Gaspard revint voir son compagnon mais il n’osa renouveler l’expérience, un sentiment particulier l’envahissait. Il comprit bientôt qu’il ne pouvait priver l’animal de cette liberté aérienne. Il comprit que l’oiseau était fait pour voler, l’enfant pour grandir et l’homme pour aimer.

Il comprit également ... Que la vie n’était qu’éphémère,

Que de la dompter il ne pouvait se satisfaire,

Que lui aussi un jour devrait quitter ses pairs,

Pour voler vers d’autres terres.

pigeon.jpg

 

Le soir venu, l’enfant prit l’oiseau, le blottit contre lui et le renferma dans son pull retourné. Il partit vers le clocher qui pointait vers le ciel encore éclairé. La rivière était paisible et une bise légère faisait virevolter les premières feuilles de peupliers pour annoncer déjà la proche fin de l’été. Seul un pêcheur passionné s’attardait encore au bord des joncs. Le cœur serré mais baigné de chaleur, Gaspard marchait à pas feutrés. Chargé de fierté et de tendresse, il partait avec son âme de père, emmenant avec lui son trésor palpitant ; il partait avec son enfant vers le pic d’ardoises, cime des libertés, respirer l’air de la vie ...

 

James NAR

 

 

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